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Un été sans algues bleues?

Karine Bellerive

Peut-on se baigner en toute sécurité et boire de l'eau du robinet?

C'est ce que souhaiteraient les citoyens qui s'impliquent pour s'assurer de la qualité de l'eau de leur lac et de celle qui coule de leur robinet. Une eau plus propre qu'elle l'était il y a 30 ans. Mais il reste beaucoup à faire.

Les riverains surveillent plus attentivement leur lac depuis l'été 2006. Ils ont pris cette nouvelle habitude après qu'on leur eut interdit de se baigner, en pleine période de canicule, il y a trois ans. La grande responsable : une petite algue bleue qui, bien qu'elle soit assez jolie à regarder au microscope, a semé la panique sur leurs berges. Les médias ont alors signalé la multiplication incontrôlée de cyanobactéries (les fameuses algues bleues), qui sont potentiellement dangereuses pour les humains dans plusieurs lacs.

La prolifération des cyanobactéries est devenue une préoccupation pour les riverains québécois. L'été dernier, ce phénomène a touché 108 lacs du Québec, soit presque autant qu'aux cours des deux années précédentes. Et il faudra attendre entre 5 et 10 ans avant que les actions mises en place par le gouvernement dans le cadre d'un plan de 200 millions de dollars parviennent à freiner la prolifération des algues bleues.

Lorsqu'elles sont présentes en grande quantité dans l'eau, ces algues microscopiques, appelées alors fleurs d'eau, peuvent être nuisibles à la santé humaine. Des irritations de la peau ou des yeux peuvent apparaître à la suite d'une baignade, mais la consommation d'eau contaminée est encore plus dangereuse. L'ingestion de toxines de cyanobactéries peut provoquer des maux de tête, de la fièvre, des vomissements et de la diarrhée. C'est ce qui a contraint les citoyens de la municipalité de North Hatley, qui s'approvisionnent dans le lac Massawippi, à aller puiser leur eau potable dans une citerne installée près de l'hôtel de ville ou à boire de l'eau embouteillée, au début de l'automne 2006. Depuis, la municipalité est à la recherche d'une solution.

Jean-Paul Raîche est chercheur à l'Observatoire de l'environnement et du développement durable de l'Université de Sherbrooke et président du COGESAF.
Jean-Paul Raîche est chercheur à l'Observatoire de l'environnement et du développement durable de l'Université de Sherbrooke et président du COGESAF.

Mais la problématique des algues bleues a aussi contribué à faire évoluer les mentalités depuis trois ans. En somme, elle a obligé les citoyens à s'impliquer pour trouver des solutions. Selon le président du Conseil de gouvernance de l'eau des bassins versants de la rivière Saint-François (COGESAF), Jean-Paul Raîche, la tempête médiatique entourant les algues bleues a contribué grandement à la prise de conscience collective des enjeux environnementaux reliés à l'eau. «Les gens ont eu peur de ne plus pouvoir profiter de leurs lacs. Ça nous a notamment permis de parler de l'importance des bandes riveraines dans la qualité de l'eau.» Les spécialistes qui travaillent sur le terrain avec les municipalités, les associations de riverains et les agriculteurs, notamment, remarquent aussi une plus grande sensibilisation citoyenne sur cette question. «Il y a encore des riverains qui tiennent à leur belle pelouse verte, mais c'est de plus en plus rare», témoignent Jonathan Bolduc et Karen Ann Page, fondateurs de Natur'­Eau-Lac, une petite entreprise de Saint-Camille qui se spécialise dans la protection et la restauration des habitats aquatiques. Ils constatent par ailleurs l'existence d'une nouvelle volonté politique. «Il y a 30 ou 40 ans, on redressait encore des cours d'eau qui avaient des méandres pour gagner de l'espace! explique Jonathan Bolduc. Mais de nouvelles normes sont graduellement mises en place, comme certains règlements municipaux rendant obligatoire l'aménagement de bandes riveraines autour des lacs.»

Jonathan Bolduc est cofondateur de Natur'Eau-Lac.
Jonathan Bolduc est cofondateur de Natur'Eau-Lac.

Le son de cloche est le même du côté du président de l'Association pour la protection du lac Mégantic (APLM), Jean Roy, qui affirme que les élus sont moins difficiles à convaincre qu'ilsl'étaient auparavant. «Tant qu'on n'a pas eu de problèmes, les décideurs politiques ont attendu. Mais, depuis quelques années, des modifications sont apportées aux règlements concernant les pesticides et les engrais, par exemple. On commence aussi à penser aux eaux fluviales – à l'eau de pluie –, dont 50 % se retrouvent dans le lac.

On voit que des efforts sont faits.» Selon lui, les préoccupations sont parfois plus économiques qu'écologiques. «Le lac, c'est ce qui attire les touristes. Si on ne peut plus en profiter, la valeur foncière des propriétés va assurément diminuer. Et les villes ne veulent pas perdre de l'argent!»

Lyne Chartier est chargée de projet chez Teknika-HBA.
Lyne Chartier est chargée de projet chez Teknika-HBA.

Lyne Chartier et Marie-Pierre Thibeault, qui sont respectivement chargée de projet et biologiste chez Teknika-HBA, croient aussi que la dimension économique a joué un rôle important dans l'évolution des mentalités.?«C'est triste à dire, mais il a fallu passer par l'aspect monétaire. Quand tu vois ton lac devenir vert plusieurs fois par été, au point où les baignades et les activités nautiques deviennent impossibles, tu commences à t'inquiéter de la valeur de ta propriété...» C'est notamment ce qui est arrivé à Lac-Brome lorsque la municipalité a décidé de faire appel aux spécialistes de Teknika-HBA, au début de l'année 2007. Dans ce cas particulier, toute la collectivité a été invitée à réagir. Les spécialistes de Teknika-HBA ont d'abord procédé à des échantillonnages pour établir un diagnostic, et elles ont détecté les sources des problèmes sur l'ensemble du bassin versant. Elles ont ensuite élaboré un plan d'action en trois volets : sensibilisation, réglementation et interventions sur le terrain. La mise en œuvre des mesures correctives a débuté l'été dernier, et le travail se poursuit actuellement.

Marie-Pierre Thibault est biologiste chez Teknika-HBA.
Marie-Pierre Thibault est biologiste chez Teknika-HBA.

Les municipalités réglementent donc de plus en plus l'utilisation des pesticides et des fertilisants. Cependant, selon Catherine Choquette, qui enseigne le droit à l'Université de Sherbrooke, on ne peut évidemment pas tout mettre sur le dos des riverains. «De façon générale, explique-t-elle, ceux-ci n'ont pas besoin de règlements pour appliquer des correctifs puisque, après tout, ce sont eux qui sont les grands perdants s'ils ne peuvent plus jouir de leurs plans d'eau ou vendre leur propriété. Une obligation morale ou sociale, c'est souvent beaucoup plus fort qu'une obligation juridique qu'on n'a pas les moyens de faire respecter.» Selon elle, les élus doivent aider les citoyens à se prendre en main en leur fournissant les ressources nécessaires pour appuyer leur action. «Pensons seulement au recyclage : on se sentirait coupable de jeter une boîte de carton à la poubelle. Mais on la recycle parce que le gouvernement a mis en place une structure qui facilite notre action.»